Naoki Urasawa : dans les pas d’un monstre du manga

Naoki Urasawa, un monstre du manga

Naoki Urasawa : dans les pas d’un monstre du manga

À l’occasion de la 29e édition des Rendez-vous de la BD d’Amiens, je vous invite à marcher dans les pas d’un monstre du manga.

Affiche 29e édition RDV de la BD d'Amiens

Son parcours et ses influences

Naoki Urasawa est confié à ses grands-parents et découvre les œuvres d’Osamu Tezuka, dont il va tomber éperdument amoureux. À la suite de quoi, lui aussi se mettra au dessin. En primaire, ses dessins le sauveront du harcèlement scolaire.

Naoki Urasawa, de la partition au crayon

En parallèle du dessin, il s’initie au chant et à la guitare, et est profondément influencé par la musique folk et rock. La musique continuera de l’accompagner durant toute sa scolarité. Malgré son talent pour le dessin, il se dirige vers des études d’économie. Il postule à la Shogakukan pour devenir éditeur ou vendeur. Il leur présente Return. Le rédacteur en chef n’est pas intéressé, mais un directeur du Shōnen Sunday repère son potentiel et transmet son travail au rédacteur en chef de Big Comic Original. Cela l’amènera à travailler sur l’univers de Golgo 13, et en 1985, il se lance dans sa première série longue : Pineapple Army.

Même si Pineapple Army permet à Naoki Urasawa d’affiner son style et d’obtenir un certain succès d’estime, c’est avec Yawara!, publié en parallèle, qu’il connaît son premier grand succès commercial. Le manga fera augmenter le nombre de femmes inscrites au judo et aura droit à une adaptation animée ainsi qu’à un film live action.

Le monstre qui banalise les chef d’oeuvres

Juste après Yawara!, il crée l’un de ses plus grands chefs-d’œuvre : Monster, en s’inspirant de la littérature européenne et des films d’Alfred Hitchcock. Il apprécie également, dans un tout autre registre, les films des frères Coen, notamment Fargo (film et série), pour leur décalage si singulier. Monster a failli être adapté à deux reprises en film, mais l’œuvre est tellement dense que même Guillermo del Toro a renoncé au projet, de peur de se casser les dents dessus.

Il enchaîne ensuite avec un autre de ses chefs-d’œuvre : 20th Century Boys, où il mêle ce qui fait l’ADN d’un Urasawa : l’enfance, les références aux mangas et à la pop culture, et l’influence folk, le tout dans un suspense haletant.

Après avoir été primé par le prix Tezuka pour Monster en 1999 — dans une sélection comprenant notamment Kentarō Miura (Berserk) ou encore Minetarō Mochizuki (Dragon Head) —, la boucle est bouclée en 2003 : il est choisi par Tezuka Productions et le fils d’Osamu Tezuka pour travailler sur Pluto, un manga mêlant thriller et science-fiction, reprenant un arc narratif de Astro Boy, « Le robot le plus fort du monde ».

C’est une consécration : en 2014, il est contacté par le musée du Louvre pour mettre à l’honneur la bande dessinée, et sortira Mujirushi, le signe des rêves.

Naoki Urasawa est un mangaka à part

Personnellement, je vois le manga — et les livres en général — comme une conversation, un dialogue différé entre son auteur et son lectorat. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que Naoki Urasawa connaît toutes les ficelles de cet art !

D’abord, il a un style graphique à part : un style à mi-chemin entre le manga et la BD occidentale, où les personnages ont des traits marqués et reconnaissables. Dans l’univers d’Urasawa, vous n’aurez aucun mal à reconnaître un Allemand, un Turc ou un Japonais. Un style graphique où se côtoient le beau et le disgracieux, le réalisme et le fantastique.

Mais ce n’est pas tout : son découpage et sa mise en scène n’ont rien à envier aux plus grands cinéastes. Comme beaucoup de mangaka, Urasawa consacre beaucoup de temps à la création de ses décors. Ce qui le distingue, c’est le degré de réalisme de ceux-ci : architecture, lampadaires, modèles de voitures, uniformes… Naoki Urasawa est comme un reporter photo, un archéologue. Il mêle le réalisme de ses décors au fantastique de ses histoires, au point que vous peinerez à distinguer la frontière entre les deux !

Et dans l’univers d’Urasawa, même les personnages mineurs — tertiaires, secondaires —, ceux qui d’ordinaire ne sont que des figurants destinés à faire briller les héros, ont une âme, une respiration, une identité. Et on parle ici de personnages tertiaires. Alors imaginez le soin qu’il applique aux secondaires… ou au protagoniste ! Une fois le personnage inscrit dans l’histoire, après lecture, il vous donnera le sentiment d’être aussi vrai et palpable qu’une personne en face de vous.

Naoki Urasawa, un monstre du manga

Dans la confidence du maitre (interview)

Question : Vous êtes justement en train de parler de ce contexte qui est très crédible dans vos histoires, Asadora n’y coupe pas. Quel est le poids de la documentation dans tout votre travail ?

Réponse : Si j’ose dire, ma méthode de travail c’est que d’abord, avant tout, j’essaie d’imaginer un énorme mensonge, c’est ça le départ de toutes mes histoires. Et après il faut que ce mensonge soit intéressant. Une fois que j’ai convaincu par ce mensonge, c’est là que je commence à ajouter des éléments pour donner du réalisme à ce mensonge.

Q : Vous avez dit lors d’une interview à Angoulême que vous ne planifiez pas entièrement vos récits à l’avance, laissant souvent les personnages et l’histoire vous guider. Comment cette méthode a-t-elle influencée l’évolution du personnage de Johan dans Monster ? Est-ce que vous avez rencontré d’autres difficultés pour progresser dans vos histoires, pour garder la cohérence du scénario par rapport à l’évolution des personnages ?

R : En réalité quand je démarre une série, lorsque je commence une histoire j’ai déjà toutes les idées jusqu’à la fin. Je vois donc d’une image assez précise la fin de l’histoire mais au fur et à mesure que j’avance, la narration évolue et les personnages évoluent. Et moi-même, auteur, évolue aussi ! Donc tout naturellement l’intrigue évolue et finalement j’ai la fin qui n’a rien à voir avec ce que j’avais conçu au début.

Q : Pour vous les personnages secondaires sont très important et vous les développez énormément. Est-ce que dans la galerie de personnage d’Asadora il y a un personnage qui vous échappe, qui n’en fait qu’à sa tête ?

R : Je dirais que tout mes personnages vivent à leur tête et donc oui ils vont tous s’échapper. Déjà à partir du moment ou je créé les personnages, je conçois les personnages j’imagine comment sont Kasuga, Kinuyo ou Asa mais déjà à ce moment là ils ne m’appartiennent plus. Et je suis sur que quand les personnage n’écoutent pas, n’obéissent pas l’auteur, le mange devient intéressant.

Q : Vous avez une composition très cinématographique digne d’un film d’action haletant quand on parcours la lecture de vos ouvrages. Comment vous procéder quand vous créez une planche de manga ? Est-ce que vous faites beaucoup de storyboard ? Est-ce que vous conceptualisez la planche en entier ou case par case ?

R : J’ai commencé à écrire et à dessiner des manga à l’âge de 5 ans. Ma méthode c’est vraiment retranscrire les idées dans ma tête sur une feuille. En fait c’est quelque chose que je peux faire avec une grande liberté, je transpose les images que j’ai en tête sur ma feuille et c’est très difficile d’expliquer la technique, la méthode de mon travail puisque c’est quelque chose que je fais naturellement depuis l’âge de 5 ans. Et puis c’est un peu comme la question « Alors comment vous mangez ? Comment vous respirez ? ». Le fait de faire un manga pour moi est aussi naturel que ça. Nous ne nous posons pas la question de comment nous mangeons, comment nous respirons, parce que nous faisons ça depuis notre naissance. Le dessin pour moi c’est pareil, quand on le fait petit et beaucoup, on peut acquérir ça comme l’acte de manger ou de respirer.

Les incontournables (manga à lire)

  • MONSTER : Un thriller psychologique glaçant sur la perte de l’innocence et la frontière ténue entre le bien et le mal. C’est un récit dense, brillamment construit, porté par un antagoniste inoubliable.
  • 20TH CENTURY BOYS : Une saga générationnelle mêlant nostalgie et conspiration, où l’imaginaire enfantin devient une menace bien réelle. C’est un puzzle narratif fascinant sur la mémoire collective et les faux héros.
  • PLUTO : Une relecture magistrale d’Astro Boy en mode polar SF. Introspectif, humaniste et profondément émouvant, ce récit interroge l’humanité à travers le regard des machines.
  • BILLY BAT : Une œuvre méta sur le pouvoir de la fiction et les mystères de l’Histoire. C’est une intrigue labyrinthique et vertigineuse, portée par un héros tiraillé entre vérité et manipulation.
  • ASADORA : Un récit d’aventure à hauteur d’enfant, où une héroïne déterminée traverse les bouleversements de l’après-guerre japonais. C’est léger en apparence, mais toujours porté par l’œil social aiguisé d’Urasawa.
Tsundokumanga
Tsundokumangapro@gmail.com


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